Permis-enveloppe, caractéristiques variables et démocratie participative
Accélérer le développement industriel des énergies renouvelables en mer
Afin de favoriser le développement accéléré des énergies renouvelables en mer, sans entrave, le gouvernement français, appuyé par une majorité de parlementaires a créé un dispositif légal et réglementaire composé principalement d’articles de la loi ESSOC, de son décret d’application n°2018-1204 publié le 23 décembre 2018 au Journal Officiel et de la loi ASAP et de son décret.
Il simplifie grandement la procédure de délivrance des autorisations et organise la flexibilité de l’évolution des caractéristiques technologiques et techniques des parcs éoliens, de leurs ouvrages connexes et des autres installations industrielles d’énergies renouvelables marines sans à avoir à demander des autorisations complémentaires.
Il permet de gagner un temps précieux en rendant l’Etat maître d’ouvrage de la réalisation des études environnementales et des premières études de levée des risques, coûteuses et de limiter… encore…les risques financiers et contentieux afin que les maîtres d’ouvrage des parcs, de leurs organes connexes privés et des réseaux afférents de transport d’énergie publics puissent développer économiquement, industriellement et financièrement massivement leurs activités océaniques sans être freinés.
Une inspiration danoise et anglaise
Ce dispositif très efficace de « permis-enveloppe » est surtout inspiré des exemples Danois et Anglais. Le gouvernement français serait mieux avisé de regarder ce qui se passe actuellement dans ces deux pays afin de renoncer à reproduire leurs erreurs très préjudiciables à leur population.
Le Danemark et l’Angleterre n’ont pas le passé historique de la France qui a fortement participé à édifier le cadre juridique national actuel. Les procédures « Anglaise et Danoise » sont-elles réellement adaptables « à la française » tout en respectant le cadre juridique dans lequel le nouveau dispositif s’insère comme le soutiennent l’Etat et le Conseil constitutionnel ?
Nous n’allons pas ici nous lancer dans une analyse en Droit comparé des versions des permis-enveloppe « Anglais et Danois » qui serait pourtant bien instructive pour comprendre « des stratégies d’évitement démocratique » inspirant les lois ESSOC, ASAP et leur décret.
Nous verrons, que la loi ESSOC; pour un État au Service d’une Société de Confiance, porte bien mal son nom, au moins pour nombre de ses dispositions EnR en mer qui révèlent la défiance gouvernementale envers la société civile et le peuple français, mais au service des industriels et des financiers internationaux.
Des contraintes, encore des contraintes, toujours des contraintes … à lever
Le nouveau dispositif juridique de « dérisquage » s’est vu assigner la mission de lever les contraintes qui freinent l’envahissement industriel océanique des énergies renouvelables.
Est-il nécessaire de préciser que ce sont les énergies « solaires et gravitationnelles » dont l’éolien est issu qui sont renouvelables, pas forcément les installations industrielles chargées de les capter ? De quelles contraintes s’agit-il ?
- De contraintes démocratiques qui exigent que le peuple français puisse donner son avis informé sur le contenu du choix précis initial des maîtres d’ouvrage des projets qui ont des effets et impacts « notables » sur l’environnement.
- De contraintes environnementales, justement, puisque les dossiers doivent les définir et leur appliquer la doctrine ERC-S en tenant compte des connaissances scientifiques les plus récentes.
- De contraintes d’un droit d’accès à la justice qui permette de débattre réellement des éléments préjudiciables et que ce « droit au juge » soit effectif et équitable devant le Conseil de l’Etat et ce sans avoir à évoquer les dernières décisions de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE). Vu le délabrement juridique du droit interne organisé au long cours, vassalement, par l’Etat français sous impulsions de l’UE contre son peuple et la résilience de l’écosystème, il est cocasse et douloureux d’avoir à constater que le droit européen vient à son secours sur ce point.
Le dispositif articulé par la loi ESSOC et son décret d’application n°2018-1204 publié le 23 décembre 2018 au JO et celui de la loi ASAP conjugués participent à lever ces contraintes plus ou moins efficacement.
Mais un des buts essentiels de ces contraintes n’est-il pas de respecter un « pacte républicain fondateur » entre les gouvernés et les gouvernants qu’ils se sont choisis ?
L’application du dispositif juridique visant à accélérer un envahissement océanique débridé par des installations industrielles d’énergies renouvelables, en diminuant nettement l’efficacité du frein démocratique de la participation éclairée du public, tant de la procédure de débat que d’enquête public que la nouvelle limitation de la portée des recours juridictionnels ne constitue-t-elle pas des atteintes graves à « ce pacte républicain » ?
Simplifier les procédures en contournant l’inacceptabilité sociétale
Simplifier les procédures d’obtention des autorisations de création de parcs éoliens et autres installations industrielles en mer, à la limite, pourquoi pas? Mais pas en restreignant à ce point les droits d’information et en conséquence, de contestation juridique des décisions gouvernementales garanties par la constitution française.
Comment améliorer et construire l’acceptabilité sociétale des Energies Renouvelables en mer sur le mépris du peuple français et de plusieurs de ses droits fondamentaux ?
L’urgence de la transition énergétique, telle que la conçoit le gouvernement, contre son peuple et l’environnement justifie-t-elle tant d’excès? Renforcer la sécurité juridique des projets EnR en mer en levant certaines contraintes majeures à un tel coût démocratique n’est pas acceptable.
Le gouvernement rabâche sans cesse que la France a pris un retard considérable dans le développement des EnR marines. Un retard à faire les mêmes mauvais choix et bêtises et à les amplifier, que ceux qui nous ont précédés est une chance quand on sait la saisir …
Du glissement des débats démocratiques vers un totalitarisme énergétique en mer
Comment les dispositifs légaux ESSOC de 2018 et ASAP de 2020 font-ils reculer l’applicabilité des droits du peuple français en faveur de ceux des maîtres d’ouvrage; limiter le temps procédural pour obtenir les autorisations demandées et réduire drastiquement les risques contentieux afin de garantir la sécurité juridique des projets EnR en mer ?
En réorganisant successivement la temporalité et la nature du contenu du débat et du dossier d’enquête public. Le débat public ne contribue plus à aviser sur le projet sélectionné suite à l’appel d’offres mais sur des contraintes « globales » liées au choix de la zone d’implantation qui a été définie par ailleurs.
Il est donc procédé par un changement du but du débat au découplage entre l’avis citoyen sur le lieu d’implantation des parcs et les éléments d’informations contenus dans le dossier qui ne sont plus assez définis à ce stade.
La nouvelle procédure prive donc le peuple français d’informations dont il disposait antérieurement et qui lui permettaient d’émettre un avis débattu en connaissance de cause.
Est-il si judicieux de décorréler l’appréciation des enjeux environnementaux et les données factuelles des projets de parcs éoliens en mer ?
Au stade « amont » de la procédure de débât public, toujours encadré par la CNDP, il est désormais proposé aux citoyens « un projet-type » dont l’intérêt informatif minimaliste ne permet plus d’estimer loyalement des liens entre les contraintes de la zone d’implantation et un projet qui est devenu peu accessible à ce stade de la procédure.
Les modifications d’intervention temporelle « amont » du débat public, la nature peu pertinente des informations délivrées « qui neutralisent et aseptisent les dossiers » et la décorrélation entre la question posée au public sur les zones d’implantations et les informations permettant d’y répondre s’opposent à la volonté légitime du peuple de s’exprimer sur des dossiers qui le concernent. Dans ces conditions, comment le débat public « amont » pourrait-il participer à conditionner la sélection du lauréat ? Ou simplement être utile ?
Ensuite est initiée la procédure complexe de dialogue concurrentiel; de soumission du document de consultation à l’avis de la CRE, d’avis d’appel à la concurrence, d’examen des candidatures, de cahier des charges, la remise des offres à la CRE et de choix du lauréat qui ne reposent plus qu’apparemment sur les même critères de notation des offres des candidats dans « ce nouveau monde de caractéristiques variables continues ou discrètes » qui « s’interdépendront » suite à leur définition par le maître d’ouvrage désigné.
Le lauréat sera alors en mesure de déposer une demande de concession d’utilisation du DPM, d’autorisation environnementale … en vertu des nouvelles dispositions des « permis à caractéristiques variables » autrement dénommés « permis-enveloppe ».
Au stade « aval », celui de la procédure d’enquête public, le dossier est évidemment plus conséquent et avant, mais c’était avant l’instauration du nouveau dispositif légal et réglementaire, le public aurait eu accès aux choix « arrêtés » des maîtres d’ouvrages, individualisés, clairs et nets qui définissaient « Le projet » soumis aux contributions et avis.
Le dossier aurait été stabilisé, les informations suffisantes pour permettre au public de contribuer et donner ses avis en connaissance de cause. Un débat efficient et loyal sur « le projet ».
C’est encore le cas en France, sauf pour les projets d’énergies renouvelables en mer.
Une accélération pour échapper aux obligations administratives et démocratiques à Dunkerque et ailleurs
Quelles sont les évolutions découlant des lois ESSOC et ASAP qui seront applicables prochainement lors de l’enquête public sur le projet de parc éolien en mer de Dunkerque ?
En tout cas pas le phasage procédural du débat public qui d’après nous fait grief, puisque le lauréat du projet de parc éolien de Dunkerque a été désigné en 2019 dans le cadre du troisième appel d’offres. Par contre, les évolutions des permis-enveloppe seront applicables au dossier d’enquête public et après pour les différentes évolutions possibles du parc éolien qui y seront définies. Les autorisations obtenues jouissent, enfin, pour les maîtres d’ouvrage et le gouvernement qui a le pied bloqué sur l’accélérateur, d’une variabilité et d’une évolutivité inédites. Imaginez plutôt.
Alors qu’en « amont » pour la procédure de débat public, nous critiquions la cachexie et la nature des informations délivrées « sur le projet », nettement insuffisantes et même indignes des buts assignés initialement à celle-ci, nous aurions pu espérer que lors de l’enquête public, celui-ci serait mis en mesure de disposer d’informations nettes, définitives et suffisantes sur « le projet arrêté initial » des maîtres d’ouvrage afin de délivrer des « contributions et avis » à la hauteur des enjeux économiques, sociaux et environnementaux du développement massif et invasif océanique des énergies renouvelables.
En neutralisant informativement le débat public et en transformant l’enquête public en « une consultation à choix multiples, caractéristiques variables et options putatives », excusez du peu, le nouveau dispositif légal et réglementaire trouble inconsidérément les capacités cognitives de participation du public par une complexité multifactorielle ingérable et annihile l’efficacité des contributions et avis de la plus grande partie des participants créant ainsi une rupture artificielle notable du « principe d’égalité » entre « les sachants » et « les autres ».
Le respect des droits du peuple français à disposer d’un dossier compréhensible par tous, exposant sans chausse-trappes les tenants et les aboutissants et « le choix définitif initial » des maîtres d’ouvrage et non un projet plus ou moins « type », soumis « avec les choix multiples » à la délivrance d’autorisations étatiques est essentiel à l’obtention de l’acceptabilité sociétale d’un développement massif des EnR océaniques.
Un choix médian aurait peut-être été acceptable … et encore …
On aurait pu estimer raisonnable que l’ensemble des choix des maîtres d’ouvrage définissant le projet à réaliser initialement soit déterminé et présenté à l’enquête public et que ses possibles caractéristiques variables et évolutives avec leurs mesures ERC soient annexées au dossier ne serait-ce que pour livrer un projet précis au public et viabiliser à minima le droit au contentieux.
Le public aurait disposé d’un dossier stabilisé reposant sur des technologies, des effets et impacts, des mesures ERC liées aux conséquences du choix « arrêté » pour chaque élément du parc éolien à construire. Suite à la délivrance des autorisations il aurait pu évoluer dans la limite de la permissivité du « permis-enveloppe ».
Bien sur, resterait la complexité « insondable » des caractérisitiques variables continues, discrètes et options et au surplus du calcul des mesures ERC et ERC-S(suivi) et évidemment les nouvelles difficultés contentieuses liées.
Mesures ERC découlant souvent de « calculs oniriques », donnant des résultats mathématiques justes, car modérés « à l’aveugle ou à la louche » quand ils « sortent du cadre fixé », par « des études de cas » lancées à la poursuite de « l’effet négatif maximal », mais délirantes de la compréhension du vivant. Sauf dans des cas précis…une usine à gaz, à enfumage…du public qui a déjà assez avec la pollution océanique existante sans en ajouter.
Comment faire entrer une baleine dans un anchois ?
Une gouvernance par les nombres aboutissant à un absurde administratif kafkaïen où, de temps en temps, Becket promène son Godot et Cioran sa lucidité. Tous trois subjugués devant tant d’audace mathématique.
En vérité, je vous l’écris; que nenni !
Les choix « définitifs » essentiels pour la construction initiale des parcs seront non seulement postérieurs à l’enquête public mais aussi aux autorisations délivrées par l’Etat.
C’est un véritable « tour de force » par rapport au droit commun de l’enquête public de la loi Bouchardeau que plusieurs de nos membres ont pratiqué dès l’origine.
Dunkerquois, personnes intéressées, si la nouvelle procédure de consultation du public ne s’applique pas du fait de l’avancement du projet, EMD va appliquer la nouvelle procédure des « permis enveloppe à caractéristiques variables continues ou discrètes et options ».
Vous devez vous y préparer au mieux.
Dans le cadre du nouveau dispositif vous aurez accès à l’ensemble des caractéristiques variables continues et « leur fourchette », discrètes et « leurs options » du projet et des « soi-disant » effets et impacts négatifs maximaux et aux mesures ERC-S des possibles technologies à sélectionner par les maîtres d’ouvrages suite à la délivrance des autorisations par l’Etat.
L’Etat qui se prive donc lui-même de la définition précise du projet de parc avant de délivrer les autorisations qui permettront aux maîtres d’ouvrage d’y puiser le puzzle des constituants de construction du parc éolien en mer qui pourront évoluer sans autorisation supplémentaire dans le cadre de ce qu’autorise le « permis enveloppe ».
Ces caractéristiques variables continues et discrètes du parc éolien pourront même évoluer entre la note technique intermédiaire et la note technique finale adressée au plus tard un mois après la mise en service du projet. Ce qui a évidemment des conséquences fâcheuses.
Au cas de demandes d’évolutions « sortant du permis-enveloppe » la procédure adéquate de modification du projet sera engagée, sauf si l’évolution demandée a des conséquences substantielles sur l’environnement, et encore. D’où l’importance pour les maîtres d’ouvrage de bien choisir les différentes caractéristiques variables, leurs « fourchettes » et les options.
Le public de l’enquête sera exposé à une complexité incompréhensible finement alors que … le diable se cache dans les détails. Comme toujours, « plus c’est complexe moins le public comprend », et moins il comprend, « plus c’est gros, plus cela passe », expression fétiche d’un de nos membres. C’est une vraie difficulté démocratique qui se retrouvera aussi pour l’évolution des DSF, en particulier pour les nouveaux documents graphiques « à calques » des cartes des vocations dont le public aura beaucoup de mal à appréhender « les nombreuses portées juridiques » successives. Nous y reviendrons longuement par ailleurs.
Un dispositif procédural parfait ou vicié dès ses fondements ?
La nouvelle procédure implique les défauts de ses avantages et de ceux de ses adaptations au contexte français …
Quoi qu’il en soit, la procédure de débat public « amont » est expurgée de sa « substantifique moelle » et « en aval » l’enquête public devient l’objet de « multiples flous artistiques »; d’imprécisions technologiques, d’effets et d’impacts, de mesures ERC et de suivis censés être efficaces dont les nombreuses combinaisons variables possibles se doivent d’être comprises par le public alors qu’une seule sera décidée ultérieurement puis d’autres successivement.
Contrairement à ce qui est soutenu, le dispositif est incapable de maximiser la mise en œuvre de l’évitement des impacts environnementaux des projets car le calcul des « effets négatifs maximaux » est « un leurre rassurant ».
Le nouveau cadre juridique crée un « en même temps dévastateur » des droits démocratiques à rendre un avis conscient sur une décision claire de chaque item définissant « un projet précis arrêté ».
Nous l’avons écrit et réécrit; c’est après la délivrance des autorisations étatiques que les maîtres d’ouvrage choisiront dans chaque « lot » la variable de chaque item qui constituera le parc éolien et ses ouvrages connexes hors les quelques invariants déjà connus. Même des technologies « non matures » mais inscrites dans les caractéristiques variables pourront y être intégrées « dans le temps » sans toujours nécessiter la demande d’une nouvelle autorisation ou d’une modification simple. Si la « substantifique moelle » informationnelle a été extirpée de la procédure de débat public, nous nous trouvons en présence « d’un os ».
Nous ne préciserons pas plus ici notre pensée qui est réservée à d’autres lieux, mais vouloir accélérer l’intégration des avancées technologiques en mettant une nouvelle fois « l’éolienne avant les droits » n’est pas sans risque malgré toutes les précautions prises.
Nul doute qu’aux moments opportuns une « guerre de tranchées juridique » sera ouverte sur plusieurs fronts ; ceux de l’étude des impacts, du dossier d’évaluation des incidences sur les sites Natura 2000, voire de l’étude des incidences environnementales et évidemment sur les autorisations délivrées malgré leur complexité et leur volatilité décisionnelle et temporelle.
Croire que l’hyperlaxité du nouveau dispositif juridique sécurisera les projets en s’asseillant sur l’inacceptabilité sociétale, sur des droits démocratiques, sur la protection de l’écosystème océanique et à terme sur la nutrition, la santé humaine et la résilience terrestre en limitant les retards liés aux risques de contentieux, alors que ces derniers ont déjà été fortement circonscrits par des solutions juridiques discutables est un pari sur l’avenir. Pari que nous ne prendrons pas.
Le chargé de communication de l’Atelier Anonymus,
Chrystophe Grellier