Aquaculture et parcs éoliens en mer ; « une fausse bonne idée »
Vers un développement massif conjugué de l’aquaculture et de l’éolien en mer.
PARTIE 1
Dans le futur parc éolien en mer de Dunkerque comme généralement dans tous ceux prévisibles, avec des adaptations entre technologies éoliennes posées ou flottantes, ou même par des installations aquacoles intégrées aux projets de parcs éoliens dès leur conception en bureau d’études, la France, l’Europe et le monde se destinent à un développement sans précédent des aquacultures industrielles en dehors des littoraux proches.
Est-ce une bonne idée au regard de l’absence quasi générale d’écoconception des éoliennes actuelles, de la nature chimique de certains de leurs composants et de leurs annexes en contact avec le milieu océanique biotique et abiotique ?
Il y a effet et effets
A l’image des générations d’aquaculteurs dulçaquicoles et de cultures marines qui ont pratiqué à travers le monde, depuis de nombreux siècles, « des polycultures et polyélevages » associant productions végétales et animales dans un même volume d’eau et le même fond, l’idée n’est pas nouvelle d’associer à des structures industrielles en mer des productions de biomasse végétale et animale.
Dès les premières plongées en présence d’épaves immergées à faibles profondeurs, des populations littorales se sont rendu compte de « ces effets de récif et d’habitat » , tant pour les espèces fixées sur les structures que pour celles de pleine eau ou de fond.
« L’effet de refuge » favorable à la protection des espèces et « l’effet de débordement » exploité par les pêcheurs en limite des épaves, viennent compléter ce quadriptyque formant « le tableau effectif positif » de la présence de récifs naturels et artificiels accidentels ou choisis.
Choisis, « en effet », car dans un milieu où de nombreux fonds sont pauvres en supports durs et cachettes pour de multiples raisons, tout récif artificiel bien pensé par sa composition et sa géométrie, sa multiplicité fonctionnelle, constitue un biotope favorable à l’établissement d’une grande biodiversité d’espèces formant des biocénoses locales.
Les peuplements français de laminariales et qui plus est de kelp des TAAF remplissent naturellement très efficacement ces quatre effets dont plusieurs sont recherchés par les lamentables Dispositifs Concentrateurs de Poissons (DCP) constitués de radeaux de plastiques de récupération délaissés ensuite en mer par des pêches industrielles, mais aussi artisanales et même de subsistance.
Evolution de la nature des épaves, progrès industriels et création de polluants résilients
Les épaves antiques et anciennes constituées de matériaux naturels ont évidemment disparu suite à leur délabrement sauf cas de conservation en milieux anaérobies. Leurs constituants respectaient les cycles du vivant et abiotiques sans provoquer de graves dommages à leur environnement.
Les évolutions technologiques maritimes liées au machinisme industriel du XIXème siècle ont apporté des changements de nature des constituants des épaves, remplaçant les bois par des métaux et les voiles par des chaudières à vapeur ainsi que pour de très nombreuses applications. Vers la fin du XIXème siècle l’invention du moteur diésel associé à l’hélice sonne le glas des machines à vapeur et des roues à aubes.
Dès 1856, la Parkésine (le celluloïd) associant des traitements chimiques de la cellulose et une huile végétale, première matière plastique thermoformable, était créée pour combler l’effondrement de ressources naturelles, déjà, et la révolution chimique qui est encore en pointe aujourd’hui va s’éloigner de l’usage et de la transformation biodégradable de substances et de matières naturelles.
L’artificialisation va devenir le maître-mot de la plasticité et de nouveaux intrants vont faire sortir l’humanité des cycles biogéniques que ses productions n’auraient jamais dû quitter.
On peut imaginer la révolution civilisationnelle provoquée par la possibilité d’injecter industriellement des matières plastiques artificielles toujours plus nombreuses dans des moules afin d’obtenir des formes complexes, par les techniques d’extrusion-gonflage produisant des gaines solides et étanches, par l’extrusion-soufflage pour les tubes ou en filières pour le tissage des fils … les multiples techniques de plasturgie et de composites … les nouveaux polymères artificiels … et mixtes. Un univers de possibilités sans fin, une durabilité et un rapport masse-résistance d’autant plus remarquables que des produits de charge peuvent y être incorporés, que les différentes résines imprègnent des mats de verre, des rovings, des tissus de fibres de carbone.
C’était la victoire de l’esprit humain sur la matière, la relégation de la boite en bois ou en métal aux oubliettes de l’humanité, le règne « d’une géniale plasticité » qui devait « submerger le monde ».
Le règne de la chimie « artificielle » était total car on pouvait créer des engrais, des gaz de combat, des pesticides, des SDHI ou d’autres fongicides, des insecticides, des herbicides, … avec tout ces « cides » comment peut-on être surpris de l’écocide en cours qui aboutira, si nous n’y prenons garde à notre génocide ?
Le règne de la chimie « artificielle », c’est aussi des peintures, des huiles techniques, des tissus, des mousses, des décapants, des réfrigérants, des adjuvants techniques des bétons, des PFAs et PFOs, des PVC, des polyuréthanes, des Bisphénols … il suffit de lire la litanie de la norme REACH et de la comparer à l’aune de nos connaissances pour se convaincre que les gouvernements ont failli gravement dans la protection de l’environnement et des populations qui leur incombent.
Les gouvernements ont failli dans les procédures d’autorisation de mise sur le marché, dans le suivi des effets et impacts environnementaux et sanitaires et lors du renouvellement d’autorisation pour des molécules qui n’avaient rien à faire dans les biberons, les meubles, au contact des aliments …
Paradoxalement, tout en sortant des cycles biogéniques donc de la recyclabilité indispensable au maintien de notre résilience, les évolutions chimiques artificielles issues de réserves naturelles fossiles, si elles ont pollué difficilement remédiablement l’environnement, l’ont aussi d’une certaine manière protégé en limitant la consommation des autres ressources naturelles qui auraient été nécessaires pour produire des biens de substitution.
C’était le but de la création la Parkésine. Contourner la raréfaction, donc l’augmentation vertigineuse des coûts d’acquisition de plusieurs ressources naturelles via leur substitution par un ersatz.
C’est une pitoyable consolation au su de l’ampleur des pollutions mondiales de la société de consommation, et du faible ralentissement de l’épuisement des ressources naturelles terrestres, qui en tout état de cause s’accélère incontestablement avec la transition énergétique.
Ecoconception économique versus Ecoconception écologique et acceptabilité sanitaire de l’aquaculture dans les parcs éoliens
Dans un monde parfait, des éoliennes écoconçues ne nous poseraient aucun problème s’il était démontré que leurs effets et impacts minimes sont acceptables pour l’écosystème océanique et compatibles avec ses évolutions dynamiques ; physiques, chimiques et biologiques résilientes.
Nous serions les premiers à défendre un envahissement de l’océan mondial par ces machines industrielles. D’autant plus que deux d’entre nous ont travaillé plusieurs années à concevoir une nouvelle aquaculture d’un crustacé à haute valeur ajoutée sur des supports adaptables sur les mats et jackets des éoliennes en mer.
Le problème s’est posé quand il a été nécessaire de disposer d’informations précises afin de garantir que la croissance de la biomasse produite et sa qualité sanitaire ne seraient pas dégradées par la nature des effets et impacts physiques et chimiques des éoliennes et de leurs annexes.
Investir en recherche et développement, expérimenter un pilote, développer une activité, produire, mais ne pas pouvoir vendre, après trois ans d’un dur labeur une production à cause d’une norme sanitaire protégeant utilement les consommateurs est un risque disproportionné qui a amené nos membres à renoncer.
Si un jour, des éoliennes écoconçues sont possibles, ce que nous mettons formellement et foncièrement en doute, pour des raisons que nous pourrons amplement développer par ailleurs, nos membres s’y intéresseront.
En tout état de cause, cette écoconception ne pourra intervenir qu’après que les effets et impacts physiques et chimiques des modèles actuels sur les écosystèmes auront porté leurs fruits délétères.
Même avec des modèles écoconçus, il restera des risques intrinsèques à l’énergie éolienne qui ne sont pas réductibles et qui à eux seuls font douter de la compatibilité de cette industrie avec le maintien d’un bon état écosystémique océanique et le développement d’une aquaculture sanitairement vertueuse.
Alors, avec la conception actuelle des pales …
Recyclage-matières des pales, un cycle vertueux ?
Des techniques liées à de nouveaux durcisseurs existent pour le recyclage-matières des pales éoliennes de nouvelle génération en cours d’exploitation et lors du renouvellement (repowering) des aérogénérateurs.
Recycler les monomères, voire récupérer les matières de charge et peut-être le cœur en balsa dans certains cas, représente une avancée considérable pour les industriels en économie des ressources … c’est le jackpot ! Mais c’est aussi un frein majeur à la recherche de solutions écoconçues.
En effet, ce recyclage, s’il est en plusieurs points vertueux est aussi une calamité puisqu’il « fixe » cette technologie dans ce qu’elle a de plus polluant ; les résines et les durcisseurs, les matières de charge actuelles, sauf à les remplacer par des matières naturelles compatibles avec les contraintes industrielles et océaniques. Si cela est au moins partiellement possible.
Beaucoup de temps, de R&D et d’argent ! Mais dans ce cas, les industriels devront prendre en charge la neutralisation, la dépollution d’énormes tonnages de matières toxiques, ce qu’ils évitent par leur recyclage et qu’ils réexposeront à l’environnement océanique ; à ses pressions, aux contraintes physiques et au vivant.
Leur activité est de « dépenser l’indispensable » et de produire le plus possible d’énergie en empochant les subventions, voire gérer au mieux la revente des parcs au bon moment pour aboutir au bénéfice le plus élevé en faveur des actionnaires et de l’entreprise. C’est leur job. Pas de choisir des solutions rentables environnementalement à long terme que leurs concurrents ne choisiront pas non plus afin de rester dans la course au développement industriel et financier.
L’Union européenne et la France dans tout cela ?
Ni l’Union Européenne, ni a fortiori la France ne sont capables d’orienter suffisamment rapidement les industries vers l’écoconception compatible avec la non dégradation environnementale. Gouverner demande du courage et de choisir une politique de protection du vivant et de la santé humaine avant d’autoriser tout développement industriel préjudiciable à la résilience terrestre.
Les peuples sont maintenus systématiquement dans la situation inverse car ce sont les lobbies et le pouvoir de l’argent des marchés qui gouvernent et pas ceux qui ont été portés au pouvoir démocratiquement. Ce constat n’a jamais été plus criant.
Alors recycler, oui, mais pas n’importe quoi et pas n’importe comment. Tout recyclage n’a de sens que si antérieurement les toxiques sont remplacés par des non toxiques. Recycler des toxiques ad vitam aeternam est une solution industrielle de maximisation des profits et d’optimisation du transfert des externalités négatives sur les peuples et la res publica.
Un des drames de l’humanité est sa confiance aveugle en « des progrès technologiques » qui jusqu’à présent sont plus incompatibles avec le vivant qu’ils ne lui sont utiles et nous poussent vers l’abîme. Choisir la vie n’est pas renoncer à la technologie. C’est simplement la remettre à la place qu’elle n’aurait jamais dû quitter, respectueuse des cycles biogéniques des écosystèmes donc de ses recyclages vertueux.
Pour cela l’Union Européenne et la France n’ont pas besoin des parasites affairistes qui orientent les politiques publiques qui interrogent sans cesser l’intelligence et l’incompréhension des peuples.
L’histoire nous apprend que quand les distorsions de pensées et d’actes s’accentuent à ce point entre gouvernants et gouvernés, il est indispensable que les uns et les autres réagissent avant que le fleuve de l’inconciliable n’emporte tout sur son passage tumultueux.
Le gouvernement français et la tête de l’UE sont-ils pourvus de la sagesse nécessaire à une conciliation de la transition énergétique avec l’intérêt écologique des peuples qui doit prévaloir ? Rien n’est moins certain.
Dans son discours sur l’état de l’Union du mercredi 13 septembre 2023, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne a annoncé une série de mesures en faveur de l’énergie éolienne qui profitera, évidemment au géant du secteur allemand et à son écosystème industriel, mais peu à la France puisque dès 2014, le ministre de l’industrie de l’époque qui a déménagé en 2017 dans un palais parisien, a organisé la vente des deux fleurons éoliens français et de brevets qui n’auraient jamais dû être cédés.
L’un à Général Electric, bien financé, l’autre, justement à l’industriel allemand qui va profiter du « train de mesures éolien » de 2023 alors qu’il vient d’enregistrer des pertes boursières historiques.
Dans ces conditions, le ministre de l’industrie en 2014 a rendu la France volontairement dépendante de l’industrie Allemande et « apparemment » de celle des USA, mais c’est une autre histoire, alors que « le locataire du palais » ne cesse en 2023 de rabâcher la nécessité d’une réindustrialisation nationale.
Cherchez l’erreur, tout comme celles à l’origine de la cascade de déboires de l’industrie nucléaire.
Ces erreurs visent la politique énergétique de la France et ont de lourdes conséquences sur la paupérisation du peuple français et de l’ensemble des acteurs économiques nationaux.
Faire avec le développement irrépressible de l’éolien en mer ou non ?
Il est compréhensible, vu l’accumulation de pressions difficilement soutenables pour la pêche que des pêcheurs veuillent que les parcs éoliens soient une opportunité économique et financière pour la filière et celle des cultures marines plutôt qu’une nouvelle contrainte.
Mais la volonté ne peut pas modifier utilement le réel si elle en est détachée. C’est lui qui nous impose la volonté qui nous est possible. Autrement, on passe la porte de l’hybris. C’est à force de croire que nous pouvons imposer à la nature notre volonté de concilier l’inconciliable et de prioriser un développement industriel non écoconçu incompatible avec la résilience des écosystèmes que nous en sommes là.
La motivation du choix de ceux qui ferment les yeux sur le réel des risques et impacts éoliens en échange d’une participation à la gouvernance de zones prioritaires éoliennes et des retombées des études de suivi des parcs est différente.
Dans les deux cas, pourtant, c’est un abandon, un renoncement compréhensible car humain, mais qui à terme aura des conséquences prégnantes sur l’acceptabilité sociétale du développement massif de l’éolien et des autres énergies renouvelables océaniques.
Si des pêcheurs et des défenseurs de l’environnement estiment que l’éolien ne présente pas de risques importants, voire majeurs contre la biodiversité, alors même que les parcs éoliens pilotes qui doivent aider à mieux définir les risques ne sont qu’en cours d’installation, comment la population pourrait-elle continuer à être réticente devant l’industrialisation massive océanique ? L’acceptabilité sociétale pourrait faire un grand pas en avant. Mais d’autres pêcheurs et défenseurs de l’environnement ne sont pas sur cette ligne. Heureusement.
C’est un choix qui est lourd d’implications à moyen et long terme et bien prématuré à l’aune des graves lacunes des connaissances scientifiques qui auraient dû être comblées bien antérieurement à l’invasion océanique des énergies renouvelables … justement par les projets éoliens pilotes.
Mais ce choix précipité est-il réellement éclairé ? L’urgence énergétique est-elle une justification valable de l’intempérance ?
En être ou pas. Vu ce que nous savons, l’Atelier Anonymus ne peut pas en être. Espérons que le choix de croire que tout est conciliable ne désabusera pas ses zélateurs.
Nous le répétons ici, la limite du « en même temps » est la cohérence des politiques publiques dans le respect de la résilience des écosystèmes qui doit être le pilier porteur d’un développement économique soutenable. Le développement éolien, tel que sont conçus actuellement les aérogénérateurs et leurs annexes, leurs effets physiques et chimiques, biologiques, tant pendant les travaux de création des parcs qu’en exploitation ne sont pas compatibles avec le maintien et au surplus, le rétablissement d’un bon état écologique.
L’industrialisation éolienne massive va accentuer l’effondrement de l’écosystème océanique qu’elle est censée sauver. Tout cela pour de l’électricité.
Vous ne pourrez pas dire que « vous n’êtes pas au courant ». Sic.
Fin de la première partie.
Le chargé de communication de l’Atelier Anonymus,
Chrystophe Grellier
A la lecture des informations contenues dans ce document je persiste à penser qu’il est urgent de différer toutes installations éoliennes en mer au titre du principe de précaution. (Le principe de précaution justifie la prise de décision et la mise en place de mesures afin de protéger l’environnement même sans preuve scientifique absolue. Ce principe s’inscrit de manière efficace dans une action préventive nécessaire et dans les objectifs du développement durable. Le principe de précaution est mentionné dans l’article 191 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il vise à garantir un niveau élevé de protection de l’environnement grâce des prises de décision préventives en cas de risque.)